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Et quand la bise fut venue. Musicie.n.ne.s d'orchestres, fourmis ou cigales ?

  • Vanessa
  • 28 mars
  • 5 min de lecture

Article publié dans le magazine Larsen #62 (mars 2025)


Le XXIème siècle est l’ère de l’ego. Promotion de l’individuel et du singulier, acharnement à se démarquer à travers toutes sortes de fenêtres virtuelles : l’humanité n’a jamais autant flatté qu’aujourd’hui la réussite du « moi tout seul ». Le monde regorge ainsi d’aspirants solistes rêvant de distinction personnelle, et la culture du collectif s’accroche aux radeaux, comme elle peut. Il existe, en musique, des pratiques où le « faire ensemble » n’en exige pas moins l’excellence des interprètes : on se penche aujourd’hui sur l’orchestre symphonique.


En avance pour mon rendez-vous, à deux pas de Bozar, en flânant je croise plusieurs musicien.ne.s. Dans les rues qui bordent les lieux de culture, on en voit souvent, instruments sur l’épaule, mais aussi des technicien.ne.s déchargeant des flight-cases, des passant.e.s détaillant une affiche, un programme. Les lieux de spectacle rayonnent sur leurs quartiers et ne se contentent pas de nourrir les publics de denrées spirituelles : financièrement, aussi, il a été démontré que la culture, loin d’être ce secteur « à perte » sur lequel on tape à la moindre avarie, génère des retombées positives, c’est-à-dire du bénéfice, sur une ribambelle de secteurs avoisinants (et locaux !).

Ballotées d’une réforme à l’autre, les maisons de culture font ce qu’elles peuvent. On rabote un poste, on en fusionne deux autres, on élimine le verre offert les soirs de première et on prie, éventuellement, pour que ça s’arrête là. C’est un peu pareil partout. Ou plutôt non, pas partout. La rédaction de Larsen est tombée sur les annonces, l’une du Belgian National Orchestra (BNO pour les intimes), l’autre de la Monnaie, qui recrutaient en ce début d’année des musicien.ne.s pour compléter leurs effectifs. Les offres sont aussi exigeantes que généreuses : celles et ceux qui passent les étapes décrochent la timbale en voie de disparition, un CDI assorti d’un salaire et de conditions plutôt confortables. Loin des clichés de l’artiste qui court  le cachet, les élu.e.s ont la possibilité de devenir titulaires. La garantie d’une stabilité financière non négligeable par les temps qui courent.


Oui mais. Mise à part la carotte du revenu fixe, la carrière de musicien.n.e d’orchestre fait-elle encore vraiment rêver les jeunes ? Si on en croit les chiffres avancés par nos voisins français, la réponse est non. Les orchestres affirment recevoir moins de candidat.e.s qu’avant, et moins bien préparé.e.s à intégrer de grandes formations. Juliette Gauthier, jeune harpiste belge complétant sa formation à Paris, observe que « beaucoup moins de gens se présentent ces dernières années. Peut-être par mesure de priorités, pour ne pas multiplier les concours et n’en préparer que certains. » D’autant qu’on peut estimer ses chances de réussite en fonction des programmes imposés aux auditions. L’étape douloureuse que peuvent représenter ces épreuves mène aussi certains artistes à préférer l’intermittence, ce qui alimenterait de facto, en France, la stratégie d’engager des musiciens de passage.


Les conséquences artistiques de cette logique sont pourtant regrettables. Bob Permentier, intendant du BNO depuis 2024, a lui-même officié au sein de l’orchestre pendant 30 ans et remarque qu’« Avant, on pensait qu’un petit groupe de base suffisait à créer une homogénéité, mais il faut en réalité une énorme stabilité pour créer un son. On a vraiment besoin de musiciens fixes. » Alexei Moshkov, konzermeister (=premier violon) au sein du même BNO et enseignant convaincu, complète : « L’orchestre attire notamment des musiciens pour qui la musique se fait prioritairement ensemble. Il y a de la convivialité dans l’orchestre, et les résultats nous paraissent parfois miraculeux. Un groupe stable est primordial pour entretenir cette complicité dans le travail. Par exemple, peu importe les éventuelles tensions ou désaccords en amont d’un concert, j’ai toujours été étonné de la forte solidarité qui règne, dès l’entrée en scène ». La bonne entente du groupe favorise de beaux concerts. Logique.


Pour permettre aux apprentis musicien.ne.s de faire le lien entre la réalité et le concert, le BNO organise aussi l’Orchestra Academy, un programme qui « offre aux étudiant·es des huit conservatoires et écoles de musique belges l’opportunité de compléter leur formation par une expérience professionnelle (…) un double stage en orchestre – au sein du Belgian National Orchestra et de l’Orchestre symphonique de La Monnaie. »

Conditions confortables et accompagnement en couveuse : les prometteuses phalanges sont plutôt bien pouponnées dans notre petit pays. Marie Hallynck, violoncelliste et professeure au Conservatoire royal de Bruxelles, insiste sur la motivation que constituent ces « académies d’orchestre » : « Ça a un énorme impact sur la vision qu’ont les étudiants du métier, c’est une expérience extraordinaire qui leur donne le goût d’en faire partie et qui s’ajoute à de multiples motivations : l’attrait de jouer dans de très belles salles, le répertoire d’orchestre qui est fabuleux, et la sécurité bien sûr pour ceux qui obtiennent une place fixe. Mais aussi, le sentiment d’appartenir à une grande famille et à une identité artistique. »


La perspective semble aussi attirer les étudiant.e.s des pays voisins. Alberto Menchen, premier violon au sein de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, estime lui, que le nombre de candidat.e.s aux auditions d’orchestre a plutôt tendance à augmenter, surtout depuis le Covid, qui a tant fait souffrir les free-lance. Maritsa Ney, violoniste et fondatrice du Listening orchestra, renchérit « Ces dernières années les orchestres deviennent beaucoup plus internationaux. Les places deviennent tellement difficiles à obtenir que les gens n’hésitent plus à quitter leur pays pour avoir un boulot. »

Car le chemin qui mène au Graal n’est pas en ligne droite. Pour obtenir le job, il faudra souvent passer par trois ou quatre étapes de sélection, suivies d’une période de stage allant de 6 mois à un an. Alberto Menchen explique : «  Ces dernières années, les gens sont souvent mieux préparés pour le solo que pour l’orchestre, aussi bien côté répertoire que pour le travail en groupe, et ils ne sont pas toujours familiarisés avec la hiérarchie. Pendant un recrutement, on voit comment la personne joue mais pas comment elle travaille. En ce sens, il n’y a pas de procédure idéale. Parfois un petit entretien oral est prévu, mais seulement dans des cas spécifiques. C’est souvent pendant la période de stage qu’on voit si ça se passe vraiment bien, humainement aussi. » 


En définitive, en Belgique l’orchestre semble abriter un peuple mi-cigale, mi-fourmi, qui chante toute l’année tout en se fondant sur des principes de loyauté et de sécurité. Quand vient la bise et que l’hiver s’annonce rude, il est réconfortant d’apercevoir ce brasier de résistance où les contrats fixes protègent un travail minutieux, la transmission et l’entreprise collective. Pas toujours simple à gérer, la dynamique vertueuse du groupe est évoquée à l’unanimité, tant de la part de ce.ll.eux qui le pratiquent que de ce.ll.eux qui y aspirent. On me parle de famille, de tribu, d’homogénéité, d’émulation.  Est-ce désuet ou subversif ? Toujours est-il qu’elle est vertigineuse, l’émotion que procure l’harmonie de 40 artistes bien entrainés œuvrant au seul et unique but de produire de la beauté. Que la splendeur nous rassemble dans le sentiment de vivre ensemble quelque chose qui nous dépasse. C’est le stade de foot des mélomanes. Jubilatoire, collégial et inspirant.

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