Rencontre avec Joëlle Charlier - Madame Vitesse
Article paru dans le magazine Larsen #54 - Septembre 2023
Le dépassement de soi se confond avec une quête absurde du dépassement de « likes » : c’est ce cercle vicieux qu’aborde « Madame Vitesse » à l’attention des enfants à partir de 8 ans.
L’accélération est devenue une injonction quotidienne. Il « faut » : aller vite, être vif, énergique et l’afficher sur les réseaux pour susciter l’admiration et se sentir validés par le regard des autres. Partant de l’histoire de Clärenore Stinnes, jeune aventurière allemande des années 20 ayant réalisé le premier tour du monde en voiture, le parallèle avec les réseaux sociaux s’est rapidement imposé pour actualiser le propos d’une « énergie qui pousse vers l’avant ». Le personnage de Vivi baigne dans la frénésie contemporaine et décide de suivre les pas de son idole Clärenore dont elle admire la détermination, l’indépendance et la force de travail. Elle désire dépasser son exploit, battre tous les records de vitesse, mais surtout… épater la galerie virtuelle des followers. À ses côtés, le compagnon de route Paul Patience (le pianiste Wouter Vande Ginste) enjoint Vivi à lâcher prise et profiter du voyage, ce qui devient vite inévitable car ses défis et échéances génèrent un stress qui contrastent de plus en plus avec la joie simulée sur les réseaux. Les imprévus se multiplient et ne laissent qu’une possibilité : ralentir.
L’écriture d’Hélène Bracke est complétée par celle de Joëlle Charlier qui signe la version francophone du texte. Sur scène, la chanteuse se plait à allier ressorts comiques, théâtre et musique dans ce scénario qui suit fidèlement Clärenore dans un périple qui appelle naturellement la musique du monde. Sonorités d’Afrique du Nord, Asie, Amérique rythment l’histoire, mais aussi mélodies de Kurt Weil, Mercedes Sosa, improvisations aux parfums asiatiques ou hawaïens… Quant au bolide, c’est un ingénieux piano préparé qui exploite l’instrument dans ses plus folles possibilités folkloriques et percussives.
Enfin, le décor visuel (par Gertjan Biasino) dévoile des images du film réalisé pendant le voyage de Clärenore. Des extraits sont intégrés au rythme de la musique et on peut méditer sur sa perspective historique car, au moment du départ, le cinéma était encore muet. Au retour, il était devenu parlant…